Je connais des auteurs qui ont pour principe de lire le moins possible dans leur genre littéraire d'écriture dès lors qu'ils sont en cours d'écriture d'un roman. Le risque d'être influencé, consciemment ou non, est en effet bien réel. Mais faut-il vraiment le redouter? Même pour des romans extrêmement populaires, les similitudes peuvent être frappantes. Attention, cet article contient des spoilers pour Le Seigneur des Anneaux, de J.R.R. Tolkien, et La Tour sombre, de Stephen King.
Le romancier Stephen King qualifie sa série de romans La Tour sombre, de "Jupiter du système solaire de son imagination". Les romans se sont vendus à plus de 30 millions d'exemplaires dans le monde (sans doute davantage depuis 2010, date de cette estimation).
On ne peut donc pas considérer La Tour sombre comme une fan-fiction. D'autant moins que le roman possède son univers propre, très spécifique et à nul autre pareil.
Néanmoins, dans la préface du roman, Stephen King évoque deux œuvres qui l'ont inspiré: Le Seigneur des Anneaux, de John Ronald Reuel Tolkien, et, au niveau du cinéma, la trilogie des dollars, les fameux westerns spaghetti de Sergio Leone (Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus, Le Bon, la Brute et le Truand).
Je n'ai pas terminé ma lecture de la Tour sombre. J'en suis au quatrième volume, Wizard and Glass (Magie et Cristal est le titre français).
Il faut bien reconnaître que les similitudes avec une oeuvre aussi emblématique que celle de Tolkien sont réelles. Ainsi le protagoniste principal, Roland le pistoléro, est-il, à l'instar d'Aragorn, un Roi qui s'ignore. Il descend en effet d'une longue lignée qui remonte jusqu'à Arthur Eld. La référence au roi Arthur, des Chevaliers de la Table Ronde, est bien évidemment voulue.
Vous allez me dire, à juste raison, que cette idée de roi déchu est une idée, un concept, et qu'on ne peut, fort heureusement d'ailleurs, mettre des copyrights sur les idées.
Mais cela peut aller assez loin dans le concept. Dans le Seigneur des Anneaux, il existe les Palantiri, des boules de cristal capables d'espionner à distance. Le Seigneur des Anneaux lui-même, Sauron, en possède une, et s'arrange pour influencer les pensées de quiconque se sert d'un autre Palantir, en ne lui montrant que des images susceptibles de conduire au désespoir, et en minant à distance sa volonté (entre parenthèses, quelle belle allégorie des médias!).
Dans Magie et Cristal, de Stephen King, il y a une boule de cristal issue de l'arc-en-ciel (chaque boule représente une couleur de l'arc-en-ciel). Ironiquement, celle-ci est rose, mais ne permet pas de voir le monde en rose. Elle semble en effet habitée par un démon, et ne montre que les aspects négatifs des événements, et les défauts des gens. Tout en devenant très addictive (on ne peut très vite plus s'en passer), et en aspirant l'énergie vitale de son utilisateur.
Nul besoin d'être voyant pour s'apercevoir que ce sont des concepts extrêmement proches, et pourtant, Stephen King ne s'est pas interdit de les utiliser. Et sa série de romans a connu le succès.
Au passage, on remarquera que ce sont des concepts forts que Stephen King a chopé. Le roi déchu, ces boules de cristal perverses, cela résonne en nous.
J'ai beau reconnaître ces similitudes, cela n'entache en rien mon plaisir de lire La Tour sombre, parce que l'auteur ne se contente pas de faire de la redite. Ces éléments communs sont parfaitement intégrés à son univers, et cela fait sens.
Est-ce que j'aurais osé utiliser un concept aussi proche, dans mon univers? Alors qu'au contraire, je me suis efforcé de rechercher l'originalité, au point de refuser l'usage de la thématique du héros prophétique, un grand classique des romans de Fantasy ? Eh oui, moi aussi je suis un auteur complexé, qui cherche à innover.
Le concept de boule de cristal n'est pas tout à fait absent de ma trilogie Ardalia, notez-le. Les êtres affiliés à l'eau, les Malians, sont capables d'utiliser des Bulles de Vision, dont la portée est tout de même limitée, mais qui, invisibles, leur permettent d'observer sans être vus. C'est une faculté qui est totalement intégrée à mon univers, et qui coule de source, pourrait-on dire, pour un peuple voué à l'eau.
Tout cela pour dire que nous autres auteurs inconnus avons des complexes, ou des scrupules, dont ne font pas preuve des bestsellers.
C'est une bonne chose à partir du moment où travailler sous la contrainte permet la naissance d'univers, et de scénars originaux. C'est une moins bonne chose quand cela doit limiter la créativité, ou carrément interdire aux auteurs la lecture d'autres romans de fiction.
Mais bien sûr, à chacun ses méthodes, loin de moi l'idée de jeter la pierre (fût-ce une boule de cristal) à quiconque!