mercredi 17 janvier 2018

Penser "Global"

Dans mon dernier roman Passager clandestin, j'évoque, dans le premier chapitre, la surpopulation carcérale en France (cliquez ici pour lire ce chapitre). Comment l'humain traite-t-il l'humain? Le sujet me semble d'importance, lorsque l'on sait que dans le futur, on aura très certainement des robots gardiens de prison. Je crois qu'en la matière, il faut penser "global", en n'hésitant pas à voir ce que font les autres pays. 



Quand j'écris un roman, en particulier de type thriller comme Passager clandestin, j'aime bien me pencher sur les failles béantes de notre société. Mais je n'oublie pas non plus que les failles me regardent aussi. 

Quand je reviens à la réalité, plutôt que de me laisser aspirer comme dans un trou noir dans la spirale du pessimisme, je préfère donc prendre du recul, laisser mon côté optimiste prendre le dessus pour aller regarder du côté du verre à moitié plein.

Penser "Global", donc. L'un des exemples les plus frappants par rapport à la détention carcérale, ce sont les Etats-Unis d'Amérique. D'après ce site dont les informations remontent à 2009, les Etats-Unis arrivent en tête de la population carcérale dans le monde, avec plus de 2 millions de personnes incarcérées.

Le taux de détention de 737 personnes pour 100 000 habitants est de loin le plus élevé. 

On pourrait estimer que les Etats-Unis, qui mettent donc énormément de moyens dans leurs prisons, sont le pays le plus sûr au monde. Mais si l'on regarde les statistiques de morts par arme à feu ou de morts violentes outre-Atlantique, on sera largement démenti. 

Pour un policier travaillant en France, qui en a assez de voir les délinquants qu'il livre à la justice remis en liberté, les Etats-Unis, pays où les peines de prison à vie sont souvent effectuées, doit apparaître comme un pays de cocagne. Un idéal à atteindre. 

Pourtant, ce modèle est-il une réussite pour autant? Est-ce qu'on veut vraiment pouvoir se vanter d'avoir dans nos cellules 23% de la population carcérale mondiale, comme c'est le cas pour les Etats-Unis? 

Quand on regarde des chiffres plus récents, ceux de Wikipédia, on voit qu'en 1992, il y avait 501 personnes en prison pour 100 000 habitants dans le pays de l'oncle Sam, là où en 2011, on est passé à 743. Une progression qui semble inexorable. 

Que nous dit cette progression? Que les Etats-Unis, même avec des prisons moins surpeuplées, et plus humaines de ce côté, que ce qui se fait en France, ne dissuadent absolument pas la délinquance grâce à la répression. 

D'un point de vue éducation du peuple, ça ne fonctionne pas. Sur le plan économique, en revanche, le pragmatisme américain, qui a donné naissance à des prisons privées en plus des prisons publiques, permet aux groupes qui possèdent ces prisons d'exploiter largement les revenus produits par les prisonniers, et d'être rentables. 

Mais faut-il vraiment prendre une grille de lecture économique? L'homme est-il au service de l'économie, ou bien est-ce l'inverse? 

Les chiffres peuvent aussi être trompeurs par rapport à l'aspect "qualitatif". Ainsi le Japon emprisonne-t-il seulement 58 personnes pour 100 000 habitants, là où la France, avec 102, fait beaucoup moins bien. 

Le Japon. Voilà donc un pays dont la culture de discipline et de sens de l'honneur fait un bon élève... Sauf que le Japon, avec les Etats-Unis, est l'une des rares puissances occidentales industrielles à avoir maintenu la peine de mort. Et que les condamnés à mort peuvent rester 30 ans dans le couloir de la mort en ignorant pour le restant de leur vie à quel moment ils vont être exécutés. Un traitement inhumain, qui va bien au-delà de la loi du talion dans la plupart des cas. 

De même, selon cet article de Géo, le taux le plus bas, de 16 personnes en prison pour 100 000 habitants, est trompeur dans l'autre sens, puisque c'est la République centrafricaine qui le détient. Un pays notablement sous-équipé et manquant de moyens pour faire régner l'ordre. 

Dans tous ces chiffres, je retiens cependant celui de l'Inde: bien que le sous-continent soit le 5ème pays au niveau mondial de par sa population carcérale de 384 000 personnes, en 2011 d'après Wikipédia, son taux n'était que de 32 personnes par 100 000 habitants. 

L'article de Géo a beau pointer le fait que 65% des détenus indiens soient en attente d'un verdict suite à un manque de moyens judiciaires, je ne pense pas que les détenus soient si peu nombreux en proportion de la totalité de la population, comparativement aux Etats-Unis ou à presque tous les autres pays, uniquement par manque de moyens des forces de l'ordre. Si l'Inde avait voulu se donner les moyens de mettre davantage en prison, les gouvernements successifs l'auraient fait. 

Je pense qu'il y a des notions culturelles qui sont à l'oeuvre. Je pense à l'aspect moins individualiste de l'Inde, mais aussi au végétarisme, et à l'influence plus importante de la religion. C'est sans doute un cliché, mais les Américains, qui mangent incomparablement plus de viande rouge, ont tendance à être plus sanguins.

Pour les Américains, on pourrait aussi parler d'autres facteurs culturels, tels l'assimilation des anciens esclaves noirs, dont l'éloignement culturel avec la population blanche se rapproche de ce que l'on trouve en France entre les Blancs et les Maghrébins. L'intégration est plus difficile dans les deux cas. 

Sur le plan artistique, quelqu'un comme Sydney Poitier reste une exception à Hollywood: très souvent, les acteurs noirs ont le mauvais rôle.  

En France, on a le sentiment que les gouvernements successifs se défaussent d'un problème jugé honteux, et ne le règlent donc jamais: sans doute une forme d'hypocrisie judéo-chrétienne, là où les Protestants, quelque part, ont au moins pris le problème à bras-le-corps. 

Il existe aussi un phénomène que je trouve inquiétant: malgré le fait que le Front National ait été terrassé, on a l'impression que le gouvernement actuel reprend à son compte des politiques qui auraient été mis en oeuvre par le FN, afin que celui-ci ne se relève pas, ou pour éviter qu'un successeur ne prenne le relais. 

Je le vois beaucoup dans la manière de traiter l'immigration. Pourtant, la peur et l'émotion n'ont jamais constitué des solutions aux problèmes, et bien au contraire, ne font que les aggraver. 


Je suis convaincu, pourtant, que les solutions existent. Mais tout est lié: quelqu'un comme Macron sait très bien que même en expulsant 10 immigrés par la porte, 100 reviendront par la fenêtre, ne serait-ce que parce que les entrepreneurs français ont besoin d'eux pour des métiers que la plupart des Français refusent d'exercer. On est dans l'hypocrisie et dans la com bien plus que dans la mesure efficace, qui consisterait sans doute à mieux intégrer, mais aussi à avoir une politique étrangère moins prédatrice au niveau économique, permettant à des pays africains et maghrébains de mieux réussir économiquement, et de garder leurs ressortissants. 

Pour en revenir au problème des gardiens de prison en France, je me demande dans quelle mesure, afin de réduire leur problème de sous-effectif, on ne devrait pas imposer un stage de deux mois aux policiers et gendarmes dans les prisons. On règlerait sans doute en partie le problème de sous-effectif, tout en sensibilisant les forces de l'ordre aux conditions de détention des petits délinquants, et à l'intérêt d'une police de proximité et de peines aménagées.

Et oui, je sais bien que les forces de l'ordre sont elles aussi en sous-effectif, ce qui n'est qu'un effet pervers de la doctrine selon laquelle les fonctionnaires ne servent à rien. 


Je terminerai sur ces mots de Lao-Tseu: "Prévenez le mal avant qu'il n'existe ; calmez le désordre avant qu'il n'éclate."

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