mardi 19 avril 2016

Rencontre du troisième type

Il arrive parfois de faire des rencontres pour le moins inattendues en dédicace.

Il y a des moments, comme ça, où le destin vous envoie de petits signes. J'ai interprété le dernier comme une incitation à écrire un nouvel article de blog, celui que vous lisez en ce moment.

J'avais abordé un homme d'âge moyen pour lui parler de mes bouquins. "Justement, je suis réalisateur de films d'animations," me répond-il, "je travaille en numérique sur fond vert, tout ça."

Moi: "Vous ne travailleriez pas pour Luc Besson, quand même?"

Lui, "Si, justement si."

Il me raconte un peu son travail, il a l'air sympa. C'est typiquement le genre de personnes que j'aurais voulu rencontrer dans d'autres circonstances.

Mais voilà, il y a le récent procès remporté par les dessinateurs créateurs d'Arthur et les Minimoys, et la condamnation de Luc Besson pour contrefaçon. Je lui en parle parce que j'avais été choqué, non seulement par le fait que les dessinateurs n'aient pas touché les 0,3% qui leur étaient dus sur les recettes du film, ce qui ne me paraissait pas une revendication excessive, mais parce qu'ils avaient aussi été spoliés des droits sur les produits dérivés.

A ma surprise, il n'était pas au courant. Mais il me parle d'un autre procès de Luc Besson dont je n'avais pas entendu parler contre un autre réalisateur - le nom de ce dernier ne me dit rien, et je l'oublie aussitôt.

J'évoque ensuite devant lui le cas de Thomas Clément. Thomas Clément est un auteur qui avait failli signer avec les éditions Intervista, la maison d'édition de Luc Besson fondée à la fin des années 90 et qui a mis fin à son activité en 2011.

L'un des trois articles où Thomas Clément explique son aventure me semble avoir été tronqué, car je l'avais lu à l'époque de sa publication sur son blog, à l'époque où Thomas n'avait pas encore été publié par Le Diable Vauvert.  Il me semble bien qu'il disait que les gens d'Intervista, après lui avoir fait réécrire son œuvre, avaient carrément chargé des écrivains maison de le réécrire à nouveau, pour se l'approprier en toute illégalité.

Mais ma mémoire peut me jouer des tours, bien sûr. Thomas Clément n'a en tout cas pas été dépossédé de ses droits sur son livre, au final.

Bref. Je lui reparle un peu de mes bouquins, et lui laisse malgré tout mon email parce qu'il me fait bonne impression.

Il me lance en partant que "certains réalisateurs veulent devenir califes à la place du calife".

Même après coup, je ne regrette pas de lui avoir laissé mon email. Je ne travaillerai certes pas pour Europa Corp, mais on ne sait jamais, s'il se faisait débaucher par un studio aux Etats-Unis et qu'il repensait à moi... 

Un studio qui aurait pour productrice une femme de préférence, bienveillante envers ses artistes. Je parle d'un monde de bisounours? Un tel studio n'existe pas?

Il n'est pas interdit de rêver...

D'autant que de nombreuses personnes qui voient les couvertures de mes livres, et en particulier de la trilogie Ardalia, me demandent quand le film va sortir.

Et surtout, je sais qu'il est dans l'ADN de ma trilogie d'être adaptée en film, jeu vidéo ou BD, pour les raisons suivantes:

- mon père était dessinateur et nous avions une cave entière remplie de bande dessinées, que je fréquentais assiduement. Cela se ressent dans mon écriture, volontiers visuelle

- j'ai été critique de jeu vidéo, ce qui a déteint sur l'univers entièrement original d'Ardalia, lequel a un aspect ludique

- j'ai été influencé par les grands classiques de la science-fiction, de la fantasy, mais aussi du fantastique et de l'horreur, que ce soit en littérature ou au cinéma

- enfin et c'est sans doute le plus important, même si je n'ai pas la distance critique par rapport à mon œuvre, je pense y avoir insufflé suffisamment de moi-même et de ce que j'appréhende de l'univers pour rendre les relations entre les personnages intéressantes, et faire en sorte que le roman soit prenant, comme certaines critiques le laissent entendre.

J'ai conscience, cela dit, que les chances sont infimes que l'une de mes œuvres soient un jour adaptée. Le fait que mon sens de l'honneur, mon estime personnelle ainsi que mon sens de la préservation m'interdisent de signer un contrat de dupes ne fait que diminuer ces chances déjà maigres, bien sûr.

En rentrant chez moi, les paroles de ce réalisateur inconnu (je n'ai pas pris son nom) me sont restées à l'esprit. Je me demandais qui était cet autre réalisateur dont il m'avait parlé, et en quoi il avait pu vouloir devenir calife à la place du calife.

Armé de Google, j'ai donc mené une petite enquête. Le procès de ce réalisateur ne pouvait être celui gagné par Luc Besson contre Moebius (Giraud) et les Humanos Associés dans le cadre de la comparaison Incal/5ème Elément.

Je suis rapidement tombé sur le lien du procès gagné par John Carpenter contre Luc Besson. Néanmoins, je connais les films du réalisateur John Carpenter, et je m'en serais souvenu. Fausse piste.

Comme il s'agissait d'une question de pouvoir (histoire du calife), je me suis demandé s'il ne pouvait pas s'agir du procès perdu par Luc Besson contre Pierre-Ange Le Pogam.

En effet, Pierre-Ange Le Pogam était le bras droit de Luc Besson, qu'il avait licencié d'Europa Corp en 2010. Le Pogam avait créé sa firme en 2011, Stone Angels. D'après l'article de Gala, Luc Besson avait alors demandé 2,35 millions d'euros pour non respect de la clause de non concurrence et "dénigrement public".

C'était finalement Pierre-Ange Le Pogam qui avait gagné aux Prudhommes, le tribunal estimant qu'il n'y avait pas de motif "réel ni sérieux" à son licenciement pour faute lourde.

Problème, Pierre-Ange Le Pogam est producteur et acteur, et non réalisateur.

J'ai fini par tomber sur cet impressionnant article paru dans GQ. Et là, je crois que c'était bien la bonne pioche: il s'agirait de Julien Séri, le réalisateur de Yamakasi.

Pour résumer ce que j'ai compris, Luc Besson était le mentor de Julien Séri, ils avaient une relation étroite. Il lui a appris à voler de ses propres ailes, et surtout à ne jamais, en tant que réalisateur, céder aux exigences tyranniques d'un producteur.

Mais voilà, un jour, Besson a débarqué sur le tournage de Yamakasi. Il était mécontent d'un plan et tenait absolument à ce qu'il soit modifié. Julien Séri ayant refusé, il a été renvoyé pour "faute grave".  Luc Besson a ensuite, semble-t-il, remporté le procès aux prudhommes.

Cette affaire cadre complètement avec ce que m'a dit l'autre réalisateur.

Cela m'a rappelé l'armée. En tant que jeune appelé à l'armée (de l'air, opérateur téléphonique), j'avais eu à subir les blagues très désagréables d'autres appelés plus expérimentés.

Notamment, un coup de fil de l'un d'eux se faisant passer pour un haut gradé, et me passant un savon.

Lorsque, plus tard, j'étais devenu plus expérimenté, on m'avait incité à jouer ce type de tour aux nouveaux appelés.

J'avais alors essayé d'expliquer que mieux valait avoir une attitude bienveillante, ou au minimum neutre envers les autres appelés. Le but était de faire en sorte que cette pénible contrainte de 10 mois (à mon époque) se passe de manière cordiale, et le plus vite possible.

Tout le monde aurait été gagnant. Mais je n'ai pas été entendu. Trop de testostérone.

Je me suis demandé si la testostérone ne serait pas aussi en cause dans ce nombre assez incroyable de procès autour d'Europa Corp.

Après tout, un studio qui se fait poursuivre par un autre producteur avant même que son prochain film, Valérian, ne sorte, ce n'est pas courant, non?

Luc Besson serait-il sévèrement burné?



Ma femme, qui a la dent moins dure que moi, m'a fait remarquer que Luc Besson avait aussi créé la cité du cinéma à Saint Denis, avec une école gratuite (même si la sélection y est considérable).

L'homme aurait donc plusieurs facettes.

C'est tant mieux. Tout cela ne fait néanmoins que renforcer mon féminisme: oui, je crois qu'il faudrait plus de femmes à des postes d'influence, d'argent et de pouvoir. Dans le cinéma comme partout ailleurs. 

Vous me direz, les femmes aussi peuvent être corrompues. Et le sont.

Vrai. Mais la plupart des femmes ne visent pas ces postes où l'argent coule à flots, ce qui, selon moi, serait presque un prérequis: mieux vaut des personnes qui aient un style de vie simple et une certaine répugnance, ou une méfiance vis-à-vis du pouvoir et de l'argent, pour garantir plus d'équité et de négociation, plutôt que des personnes qui convoitent ces postes pour, notamment, faire subir aux autres ce qu'elles-mêmes ont subi.

Si ça ne marche pas avec les femmes, il sera toujours temps de faire appel à des algorithmes dans la gestion des richesses. Eux au moins, sont impartiaux. Tant qu'ils ne sont pas détournés... 

Pour conclure cet article sur une note plus légère, je dirais qu'après avoir vécu une rencontre du troisième type, je ne souhaite pas avoir un entretien avec un vampire...

2 commentaires:

J'écris pas loin a dit…

Merci pour ce partage. Histoire intéressante. J'aime bien comment tu l'as menée. Il y a aussi des égos énormes et très actifs dans toutes ces luttes. ;-) Les femmes n'en sont pas dénué non plus, mais je pense que beaucoup d'entre elles savent mettre leur égo de côté pour une cause plus large. Elles ont de l'entrainement sur la question de laisser l'égo de côté. C'est historique ;-)Souhaiter une vie au cinéma à ses livres, c'est bien. Je leur souhaite.

Alan Spade a dit…

Oui, égo et narcissisme sont omniprésents. Je ferai sans doute un article sur le narcissisme, un de ces jours.

Luc Besson a lancé les carrières de Jean Réno et Milla Jovovich, entre autres.

Mais y a-t-il un créateur, réalisateur, scénariste ou auteur dont il ait réellement lancé la carrière?

Il est permis d'en douter. J'ai l'impression que toute personne qui cherche à se faire un nom en passant par Besson, si ce n'est pas un acteur, se retrouve très rapidement mise sur la touche.

C'est un peu comme dans Highlander: il ne peut en rester qu'un...

Sinon, oui, pour mes livres, je rêverais de jouer les rôles de consultant, comme Rowling avec les Harry Potter. En étant bien conscient qu'adapter c'est trahir, mais dans le but que la trahison soit la plus distrayante et réussie possible.

Mais bon, si Rowling n'a jamais risqué de se faire piller ou exploiter, c'est sans doute parce que les producteurs savaient qu'ils avaient tout à perdre s'ils essayaient de l'escroquer, et tout à gagner s'ils étaient loyaux, étant donné le nombre considérable de ses lecteurs.

C'est pourquoi un auteur qui rentrerait en relation avec un producteur dans des conditions moins favorables aurait sans doute intérêt à se constituer un trésor de guerre, en prévision des procès à venir...