lundi 24 avril 2017

Le Revenu universel ferait-il exploser le travail au noir ?

Je vous rassure: je suis au courant pour la défaite cinglante de Benoît Hamon, l'homme politique qui aura fait du Revenu universel l'un des sujets de cette campagne présidentielle française. Je sais aussi que ce revenu ne sera pas appliqué dans les cinq ans qui viennent, et qu'il faudrait un sacré courage à un homme politique pour réintroduire ce thème dans une élection. Néanmoins, je pense qu'il faudra bien rouvrir à un moment ce que Mélenchon appelle la "boîte de Pandore". Par défi intellectuel, j'ai envie de m'intéresser au "facteur d'avidité", qui pourrait faire couler cette belle idée. 

Ce qui a provoqué le billet que vous avez sous les yeux est une discussion que j'ai eu hier avec un ami. Il me disait quelque chose comme: "si demain il y a un Revenu universel à 800 € par mois, qu'est-ce qui m'empêche de poser ma démission, de percevoir ce revenu et de me remettre à travailler pour mon employeur actuel, mais au noir?"

J'ai trouvé la question d'autant plus intéressante que, pour avoir été en contact avec de nombreux intermittents du spectacle, je sais que cette belle idée a été détournée, et en quelque sorte vampirisée par des boîtes de prod et de grands médias proches du pouvoir. L'argent versé par le Pôle emploi (volet ex ASSEDIC) permet à ces sociétés de diviser par deux les versements alloués à des personnes employées à l'année, qui devraient être employées en CDI. 

La Cour des comptes dénonce chaque année ces pratiques. Cet article sur le site de France Info fournit aussi d'intéressants éléments contradictoires. 

Pour revenir sur la réflexion de mon ami, on s'imagine bien comment tout le système s'écroulerait si d'un seul coup, toutes les entreprises se mettaient à vous pousser à la démission pour vous rémunérer au noir. Plus de charges payées, ça veut dire qu'on en termine avec l'assurance chômage, la Sécurité sociale et la retraite. Bref, une vision apocalyptique.

Il ne s'agirait pas non plus de lâcher la proie du système actuel de protection sociale pour l'ombre d'un Revenu universel, qui ne règlera d'ailleurs pas à lui seul l'un des plus gros problèmes des Français, qui est celui du logement.

Que représente aujourd'hui le travail au noir en France? Très difficile à savoir, puisque par définition, il s'agit de travail dissimulé. Selon la Commission européenne et le Conseil économique, social et environnemental (Cese), cela représenterait 10,8% de l'activité française soit 20 milliards d'euros par an. Source: article de la Tribune (2014). Cela pourrait être davantage, et cela dépend de la conjoncture économique.

La perte est très importante, mais moins tout de même que la fraude fiscale des grandes entreprises, laquelle s'élève pour sa part à 80 milliards d'euros par an.  

L'URSAFF lutte contre le travail au noir et procède à des redressements. Il faut noter tout de même que l'objectif n'est pas l'éradication du travail au noir: les revenus perçus par ce biais sont vitaux pour certains travailleurs, et il favorise même l'activité économique pour certaines entreprises qui sans cela, mettraient la clé sous la porte. 

Le travail au noir étant rémunéré en liquide, il faudrait, si on voulait vraiment le juguler, stopper la fabrication de billets de banque, qui seraient alors remplacés par de la monnaie électronique, que l'on peut tracer plus facilement. 

On n'imagine pas, bien sûr, la France prendre une telle mesure de manière unilatérale: euro oblige, ce serait sans doute au niveau européen que se prendrait cette mesure, qui risque d'ailleurs d'être fortement impopulaire car vécue comme une privation de liberté. 

Il ne faut pas non plus sous-estimer l'ingéniosité humaine dès lors qu'il y a des profits en ligne de mire. Rien ne dit que si l'on remplaçait les billets, la monnaie souvent utilisée dans le cadre des transactions occultes du dark net, le bitcoin, ne prendrait pas le relais. 

Cette monnaie étant impossible à traquer, les choses risqueraient de prendre une tournure désagréable.

Une autre mesure qu'il faudrait à mon avis mettre en place de concert avec le Revenu universel serait de renforcer les effectifs de l'URSAFF, et ses moyens de contrôle.

On sait aussi que si les charges augmentent pour une entreprise, celle-ci a automatiquement davantage recours au travail au noir. Une augmentation de charges due au Revenu universel, en ce sens, favoriserait le travail non déclaré. 

L'équation, on le voit, est particulièrement délicate à résoudre. Impossible? Je ne le pense pas. 

Il me paraît évident que l'on devra financer le Revenu universel de manière fine, en ciblant les secteurs qui produisent le plus de bénéfices plutôt que la PME du coin. 

Des taxes sur les robots et sur les transactions financières pourraient constituer un début de solution, mais il faudrait avant tout lutter contre l'évasion fiscale. Cela ne peut se faire qu'au niveau international.

Il faudrait aussi traquer avec beaucoup plus de sévérité tous les gaspillages de fonds publics. 

Il me semble évident que la mise en place du Revenu universel irait de pair avec une transparence accrue de toutes les transactions financières, ce qui ne va pas sans poser la question épineuse du flicage des sources de revenu de chaque citoyen.

Il y aurait sans doute des seuils de tolérance à appliquer, afin de laisser des marges de manœuvre. C'est un immense chantier.

Je me demande tout de même si le gros du travail ne consisterait pas à éduquer les gens, pour que chacun sache que ce Revenu universel vise à éradiquer la pauvreté et à émanciper l'individu. Cela ne pourra donc se faire sans une vraie volonté commune. 

Je n'ai pas la prétention d'avoir toutes les solutions. Ce sont là juste des idées, des pistes de réflexion que j'avais envie de développer, et qui peuvent aider à une mise en perspective. 

[EDIT 24/04/2017] Pour ceux qui se poseraient la question de l'utilité du Revenu universel, considérez le fait que 14% des Français vivent sous le seuil de pauvreté. Considérez aussi le fait que sans doute plus de 50% des Français, au moins une fois dans leur vie, tomberont sous le seuil de pauvreté, de manière provisoire ou définitive...

5 commentaires:

Grégory G.D. Benicourt a dit…

Pour une fois Alan j'ai du mal à comprendre ton raisonnement. Si on parle bien de revenu universel il doit être inconditionnel c'est-à-dire versé que l'on travaille ou pas. De fait si on travaille il devient un complément de revenu. C'est au contraire le RSA qui pousse au travail au noir puisque si l'on travaille cela vient se retirer et du RSA. Ce n'est pas le cas du revenu universel sauf que celui de Hamon était pourri en ce sens. C'est une sorte de RSA déguisé. Donc je ne comprends pas ce procès que l'on fait revenu universel. Il va justement rendre le travail au noir inutile.

Alan Spade a dit…

Réflexion pertinente, Grégory. Le revenu universel que j'envisage dans l'article est en effet celui de Benoît Hamon.

En théorie, je suis d'accord avec l'aspect inconditionnel du Revenu Universel. En pratique, il sera difficile à financer, et je pense qu'il faut quand même une forme de justice sociale, c'est à dire qu'il s'applique en priorité aux plus démunis.

Néanmoins, même si l'on reprend ton idée de Revenu universel inconditionnel, étant donnée la course au profit de certains, rien n'empêche de penser que les entreprises, estimant que les gens gagnent suffisamment grâce au revenu universel, décident de s'affranchir de plus en plus de la légalité, en virant de plus en plus de monde pour privilégier le travail illégal.

En ce sens, l'exemple de l'intermittence du travail est pertinent, puisque l'on voit que des aides publiques sont venues se substituer aux obligations de certains employeurs.

Grégory G.D. Benicourt a dit…

Merci pour ta réponse Alan que je partage en grande partie. Toutefois je reste persuadé que le revenu universel ne peut être appliqué que de façon inconditionnelle. L'idée c'est que les plus pauvres puisse vivre mais que ça ne décourage pas de travailler ceux qui le peuvent. En effet je pense que ce type de revenu à Paris avec la disparition des emplois qui est une conséquence de la robotisation et de l'intelligence artificielle. Après je pense aussi que le travail au noir n'est pas une caractéristique des sociétés. C'est bien souvent aussi le fait du particulier qui paye d'autres particuliers ou même des sociétés au black. Je n'arrive pas à percevoir ce lien qu'il y a entre le fait de considérer que les gens gagnent suffisamment et le fait de les employer au noir. Je pense qu'on va surtout favoriser l'ubérisation de la société. Souhaitable ou non, c'est aujourd'hui en pleine expansion et avec Macron ça risque pas de s'arrêter. La disparition de l'argent liquide pose pour moi plus de problèmes qu'elle n'apporte de solutions. Je pense notamment au tracking total du consommateur. Ce qui en ressort c'est qu'il va être nécessaire d'en débattre et probablement longtemps avant de trouver une solution acceptable par tous. Donc merci pour ce billet et j'espère que l'idée rejaillira bientôt dans notre société. Car l'idée de mettre des taxes sociales sur les robots et une idée de l'ancien siècle. Cela risquerait même d'aboutir à une situation où on fait faire un travail relativement inintéressant par les êtres humains alors qu'ils pourraient s'adonner à des activités plus altruistes ou plus créatives. Il faut aussi savoir tirer le meilleur du progrès. Désolée pour les fautes et le manque de ponctuation mais j'ai tout fait en reconnaissance vocale ��

Grégory G.D. Benicourt a dit…

«A paris»... je voulais dire «va de paire»

Alan Spade a dit…

Disons que j'ai essayé d'aller dans le sens du discours de mon interlocuteur dans un premier temps, pour montrer que ce travail au noir n'était pas une fatalité.

Mais oui, c'est l'uberisation et la précarité qui nous attendent. D'une certaine manière, d'ailleurs, l'uberisation est presque une forme de travail au noir puisqu'il n'y a quasiment plus de charges pour les sociétés qui la pratiquent.

En fait, on pourrait même dire que les sociétés n'auront pas besoin de mettre en place le travail au noir dans la mesure où, à force de diminuer leurs charges, on leur aura donné le champ libre de manière tout à fait légale.

C'est vrai qu'il y a toute une réflexion à mener, et j'espère que mon billet y contribuera, même très modestement. Il me paraît en tout cas essentiel de mieux surveiller non seulement les entreprises, mais aussi les activités de lobbying des entreprises (activités qui peuvent conduire à des baisses de charges et à l'uberisation).

Il est aussi intéressant de remarquer que l'un des secteurs où l'on pourrait supprimer massivement des emplois à l'aide de la robotisation et de l'informatique est celui du BTP, où sévit justement avec force le travail au noir.

Il y a aussi, à contrario, le secteur des services à la personne qui ne peut pas être remplacé par des robots, et qui lui aussi est fortement sujet au travail au noir. C'est pourquoi il est important de ne pas avoir de charges trop élevées pour le chèque emploi service, contrairement à des secteurs très lucratifs comme ceux des banques.