La société américaine Space X a célébré le 21 décembre dernier sur Tweeter le premier anniversaire de l'atterrissage sur Terre d'une fusée ayant lancé un satellite en orbite. Cette fusée, c'est la fusée Falcon 9. J'expliquais dans un billet en novembre dernier à quel point le silence médiatique en France à propos de cet événement incroyable me semblait scandaleux. En lisant un article à propos de la réutilisation du premier étage du Falcon 9, il m'a semblé entrevoir une certaine crainte du futur de la part du PDG d'Arianespace, Stéphane Israël.
L'article en question, en anglais, est paru sur le site Space News en avril dernier. Cliquez ici pour y accéder.
Bon, je ne vais pas vous mentir, je ne suis pas un spécialiste des questions spatiales. Vous avez ici le point de vue d'un profane.
Mais un profane qui s'informe, et qui essaie de démêler le vrai du faux.
Je ne prétendrai pas non plus être un observateur neutre: bien que je salue les succès d'Arianespace, et que je suive avec grand intérêt les péripéties de Thomas Pesquet, l'astronaute français envoyé sur la Station Spatiale Internationale, je trouve clairement qu'Arianespace manque d'ambition pour l'humanité.
La société Space X, à l'inverse, me semble avoir une démarche extrêmement volontariste dans la conquête et la colonisation spatiale.
Et n'allez pas me dire qu'il faut d'abord régler la faim dans le monde et explorer à fond les océans avant de gaspiller de l'argent dans l'exploration spatiale. Un petit coup d’œil à l'Histoire vous prouvera que ce n'est pas ainsi que les choses se font.
La découverte de Cuba par Christophe Colomb, puis du Vénézuela par Amerigo Vespucci a clairement donné aux hommes une nouvelle perspective sur le monde, mais aussi sur eux-mêmes.
Alors oui, au vu du comportement barbare des conquistadores, des génocides et du pillage des ressources, au vu de tout ce qu'il se passe de nos jours, il est tout à fait légitime de se demander si l'homme mérite de découvrir de nouveaux mondes.
C'est d'ailleurs une question que je me pose à la fin de ma nouvelle Marinopolis.
Je respecte le point de vue de ceux qui estiment que l'homme ne sera jamais prêt à découvrir d'autres planètes, et qu'il doit donc rester sur Terre.
Mais c'est un point de vue qui me paraît fondamentalement pessimiste. On a le droit d'être pessimiste, mais l'inverse est également vrai. Je ne partage donc pas ce point de vue. Ce n'est tout simplement pas ma vision de la vie.
Sauf erreur de ma part, la clé de voûte de toute la stratégie spatiale d'Elon Musk et de Space X vient de la réutilisation des fusées envoyées dans l'espace.
Pour citer Elon Musk, le PDG (entre autres) de Space X, sur son site: Si l'on pouvait comprendre comment réutiliser des fusées comme on peut le faire avec les avions, le coût de l'accès à l'espace se trouverait réduit d'un facteur d'une centaine. Un véhicule pleinement réutilisable n'a jamais été réalisé auparavant. Ceci est la percée fondamentale nécessaire pour révolutionner l'accès à l'espace.
Dans mon article sur Space X, j'écrivais: Alors certes, tout n'est pas encore
réglé. Space X doit encore prouver que les fusées qui se sont posées
sont réutilisables après maintenance.
Et c'est en effet le point critique. Space X se montre extrêmement discret sur la réutilisation du premier étage de la fusée ayant atterri. La remise en état de cet étage pour un coût abordable, et surtout la fiabilité de cet étage après remise en état, est en effet un défi qui promet d'être énorme pour Space X.
Dans l'article sur la réutilisation de la fusée Falcon 9 de Space X, on trouve un extrait des propos de l'ex-adjoint de la NASA Dan Dumbacher. Il évoque le cas des SSME, les moteurs de la coûteuse navette spatiale américaine, qui se posait sur Terre une fois ses missions accomplies. Nous avons essayé de rendre ces moteurs réutilisables pour 55 vols, dit Dumbacher. Regardez combien de temps et combien d'argent nous avons investi pour y parvenir, et nous n'avions toujours pas réussi à le faire pour l'intégralité des composants des moteurs. Je veux être réaliste: Nous ne sommes pas aussi malins que nous pensons l'être, et nous ne comprenons pas l'environnement autant que nous pensons le connaître.
Un avis d'un expert, et qui a de quoi refroidir les enthousiasmes, n'est-ce pas...
Selon la société Jefferies International, si le premier étage du Falcon 9 devenait vraiment réutilisable, le prix du lancement de chaque fusée coûterait entre 20% et 40% de moins, en fonction de la redistribution à la clientèle de Space X des économies effectuées (dans le premier cas, on est sur 50% de redistribution des économies, dans le second cas 100%).
L'enjeu est donc de taille.
L'enjeu est plus important encore si l'on considère les propos du PDG d'Arianespace, le Français Stéphane Israël, auxquels l'article fait écho. Selon lui, la société Arianespace ne sera jamais capable de réutiliser des étages des fusées Ariane, car, étant donné le prix de la remise en état des étages, il faudrait, pour en tirer un bénéfice, qu'une fusée partiellement réutilisable soit lancée 35 à 40 fois dans l'année.
Pour qu'une fusée partiellement réutilisable devienne viable, il faut donc de nombreux lancements dans l'année.
Selon l'article, Ariane 6, qui succédera à Ariane 5, devrait être lancée 12 fois par an à partir de 2023. Insuffisant.
Par curiosité, je suis allé sur le site Spaceflightnow, où l'on voit tous les lancements prévus cette année.
Pour les fusées Ariane, je n'ai vu que deux lancements en 2017.
Pour les fusées Falcon 9, j'ai vu douze lancements en 2017, plus deux lancements pour le Falcon Heavy, le successeur du Falcon 9.
Maintenant si l'on prend les lancements par la société Arianespace, à Kourou en Guyane, des fusées Vega et Soyouz, et qu'on les ajoute à ceux d'Ariane, on arrive à 10 lancements dans l'année. On est toujours loin du compte.
J'ai fait quelques recherches sur le net, et je ne suis pas parvenu à trouver d'agenda de lancements de la fusée Ariane, que ce soit sur le site de l'ESA, European Space Agency, l'Agence spatiale Européenne, ou sur des sites dédiés à Ariane.
Sur le site dédié aux missions de Space X, j'ai vu 42 lancements prévus de Falcon 9 et de Falcon Heavy cumulés, en comptant les missions de réapprovisionnement de la station spatiale internationale. Seulement, aucune date n'est indiquée.
Je pense que le flou sur les dates de lancement est intentionnel de la part d'Arianespace comme de Space X. L'ambition de la société Space X, cela dit, me semble évidemment transparaître dans son programme de lancement, même s'il n'y a pas de dates.
Il faut savoir que les dates de lancement sont souvent reportées en raison de difficultés techniques ou météo.
On voit tout de même que le marché intérieur des lancements aux Etats-Unis est beaucoup plus important qu'en Europe. C'est ce qui fait penser à des personnes comme Stéphane Israël que le coût de réutilisation des fusées n'est pas un objectif atteignable pour une société européenne.
C'est aussi ce qui me fait détecter une certaine crainte dans les propos du même Stéphane Israël: Space X ne peut manquer de vouloir mener une politique très agressive de lancement de satellites pour rentabiliser son programme de réutilisation, politique qui va aller au détriment d'Arianespace.
Je signale tout de même au passage qu'une grande incertitude existe par rapport à la politique spatiale de Trump et de son gouvernement. La Nasa reste un client incontournable d'Elon Musk, et je pense que cette incertitude pèse sur l'avenir de Space X.
Alors, que tirer de toutes ces informations?
Désolé de devoir le dire ainsi, mais les propos de Stéphane Israël comme la politique d'Arianespace semblent défaitistes au profane que je suis.
Pourquoi? Parce que ce n'est qu'en réussissant dans un premier temps à faire se poser une fusée au sol après mise en orbite que l'on va être en mesure de déterminer le coût de sa remise en état.
La société Space X dispose de vraies données en ce sens. Les évaluations de Stéphane Israël par rapport au coût de la remise en état d'un étage, en l'absence de données, me semblent relever du pifomètre.
Ce n'est qu'en réussissant dans un premier temps à faire se poser une fusée au sol après mise en orbite que l'on va pouvoir déterminer, au moment de la construction de l'étage en question, quels secteurs renforcer, quelles contraintes s'appliquent, comment protéger au mieux les différents composants, comment les fabriquer.
Certes, selon Dan Dumbacher, de la NASA, c'est super difficile et coûteux de protéger ces composants. Mais on ne peut y parvenir que si on essaye. Il n'y a pas d'autre choix si l'on veut baisser le coût du voyage spatial, et il n'y a pas d'autre choix que de baisser le coût de voyage spatial si l'on veut faire de l'exploration, et en particulier de l'exploration humaine.
Tout cela passe par beaucoup d'investissement dans la recherche et le développement, des domaines qui sont, il me semble, beaucoup plus le point fort de Space X que d'Arianespace.
Derrière chaque entreprise, il y a un esprit, une philosophie. Je suis désolé, mais l'esprit d'Arianespace me semble très éloigné de l'esprit des pionniers.
L'état d'esprit que je perçois chez Arianespace est attentiste: on attend que Space X prenne les risques, en croisant très fort les doigts pour qu'ils mettent leurs résultats en open source, afin de pouvoir devenir compétitif le moment venu.
C'est l'esprit pionnier, l'esprit de conquête, à mon avis, qui manque à la société européenne, bien davantage que les moyens financiers.
2 commentaires:
Très bonne analyse.
Il y a cependant un autre aspect à prendre en compte, concernant la différence de vision entre les Européens et Space X : c'est le but de la société qui construit les fusées.
Elon Musk veut envoyer des fusées dans l'espace et les améliorer jusqu'à pouvoir atteindre son rêve : Mars. Donc il cherche, il innove, il teste.
Arianespace (et dons ASL, donc Safran et Airbus) veulent juste faire de l'argent. Les sociétés vendraient des carottes ou des couches-culottes que cela ne ferait aucune différence pour les dirigeants. Donc la seule vision qu'ils ont est la réduction des coûts - comprendre : moins de personnel.
L'un arrivera peut-être à son but. Je le lui souhaite. Pour les autres, qu'ils se plantent ou pas est sans importance sur le futur de l'Espace. Ils auront juste fait souffrir des employés...
Complètement d'accord, Jean. Arianespace n'est pas le bon outil pour la conquête de l'espace, parce que la société n'a pas été conçue pour cela.
Quand on regarde les sociétés d'Elon Musk, qu'il s'agisse de Tesla ou de Space X, elles sont conçues comme des laboratoires en open space où les ouvriers sont en contact avec les ingénieurs et les chercheurs à chaque étape.
Tout est mis en œuvre pour obtenir des résultats pratiques et des percées technologiques.
On est loin d'une philosophie, celle d'Arianespace que je devine à la fois élitiste, économique et politique quand je vois sur Wikipédia que Stéphane Israël a travaillé à la Cour des Comptes et a été directeur de cabinet d'Arnaud Montebourg.
Arianespace fait de la gestion. La cour des comptes n'a certainement rien à reprocher aux comptes d'Arianespace, pour l'instant du moins. Le problème pour une société de ce type, c'est que l'espace reste, pour des personnes ayant le courage physique de prendre des risques, une frontière que l'on doit faire reculer.
Ceux qui la feront reculer en retireront le plus de bénéfices technologiques, et donc financiers, non seulement parce qu'ils seront allés plus loin dans la technologie, mais parce qu'ils ont auront adopté la bonne philosophie dès le départ pour affronter les énormes défis qui les attendent. Tout cela n'est pas possible sans mouiller le maillot, et en se contentant d'une philosophie de type "cover your ass".
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