Amazon a changé les règles du jeu de Kindle Unlimited, permettant aux auteurs de romans longs publiés en exclusivité sur Amazon une rémunération plus intéressante à la page. Selon l'auteur Hugh Howey, le nouveau système va dans le bon sens et est plus équitable pour les auteurs. Je reste, pour ma part, résolument hostile à la notion d'exclusivité de distribution pour quelque chose d'aussi universel que les livres, fussent-ils électroniques. Une position de principe, mais pas que...
"Derrière chaque grande fortune, il y a un crime", disait Honoré de Balzac. Cette seule formule résume mon rapport assez compliqué avec l'argent.
Ainsi par exemple, quand je clique sur le lien KDP Select de mon tableau de bord Kindle Direct Publishing et que je vois: "Fonds mondial de KDP Select juillet 2015 10 millions d'euros", une part de moi se demande: "mais bordel, qui a-t-on bousillé pour rassembler une telle somme?"
De la même manière, si un gros éditeur me proposait une forte somme d'argent en échange de ma signature sur un contrat à compte d'éditeur, je me poserais la même question.
Et la réponse serait, dans les deux cas, j'en ai peur: "beaucoup de monde".
Mon côté idéaliste est tellement enraciné en moi qu'il m'arrive de me demander si, à l'instar de Paula Myo, l'héroïne de l'auteur de SF Peter Hamilton, mon profil génétique n'aurait pas été modifié avant ma naissance.
Il ne s'agit pas pour moi d'instruire un dossier à charge contre Amazon. Si l'on devait peser dans une balance le bien et le mal, on devrait de toute façon constater qu'Amazon est l'acteur qui a su donner un coup d'électrochoc salutaire à une industrie de l'édition complètement sclérosée, et cela, dans la plupart des cas, pour le plus grand bien des auteurs indépendants.
La recherche et le développement, le lancement du Kindle, les modèles de distribution disruptifs, tout cela a été un immense bol d'air frais dans un milieu particulièrement vicié.
Les lecteurs ont aussi grandement profité de la pression sur les prix vers le bas d'Amazon, et là encore, on ne peut qu'applaudir.
Mais la plupart des entreprises, il faut le savoir, et particulièrement dans la nouvelle économie, réalisent leurs bénéfices dans les zones grises où l'on n'a pas encore légiféré.
En ce sens, on peut dire qu'elles jouent plus ou moins avec le feu, surtout dans la mesure où une décision politique peut tout à coup réduire à néant une marge de manœuvre.
C'est à mon avis le cas avec Kindle Unlimited. Et je ne parle pas seulement du modèle de lecture en streaming avec offre illimitée qui est en discussion au gouvernement, mais bien du modèle d'exclusivité qui est celui de Kindle Select et Kindle Unlimited. Modèle qui impose aux auteurs optant volontairement pour Kindle Unlimited une exclusivité de trois mois renouvelables sur Amazon des titres concernés.
Faisons un petit parallèle avec l'agroalimentaire et la distribution: si Leclerc offrait un pont d'or à tous les agriculteurs à condition qu'ils ne vendent leurs pommes de terre que chez Leclerc. Si demain, le consommateur désirant acheter des pommes de terre ne pouvait le faire que chez Leclerc.
Est-ce que ça passerait comme une lettre à la poste? Est-ce qu'il n'y aurait pas des freins légaux à ce type de tentative? Je ne suis pas juriste, mais je serais curieux de le savoir.
Dans le domaine de l'édition, les éditeurs traditionnels contrebalancent pour le moment l'offre des auteurs indépendants. Mais il faut savoir que cette industrie de l'ombre de l'autoédition, ou édition indépendante, s'est taillée en quelques années seulement des parts de marché impressionnantes.
Et il faut savoir aussi, en particulier aux Etats-Unis, qu'un nombre écrasant d'auteurs indépendants pratique l'exclusivité de distribution chez Amazon. Un million de titres sur Kindle Unlimited en juillet! Excusez du peu.
A titre de comparaison, le marché français, c'est environ 175 000 titres en format ebook. Tout compris, édition traditionnelle incluse.
Ce million de titres ne figure pas sur les plates-formes concurrentes que sont Kobo, Apple, Google Play, Barnes & Noble et les autres.
C'est ce que j'appelle, pour Amazon aussi bien que pour les auteurs indépendants concernés, jouer avec le feu.
Jouer avec le feu pour les auteurs indépendants, parce que si les autres plates-formes de vente sont étranglées, ils se retrouvent complètement à la merci du seul Amazon.
Jouer avec le feu pour Amazon, parce que si leur pourcentage de domination du marché de l'ebook passe un certain seuil, il y a de fortes chances que l'autorité de régulation anti-trust intervienne aux Etats-Unis.
Je serais acteur de l'édition traditionnelle, cela dit, je ne compterais pas trop sur le gouvernement pour me tirer d'affaire. Trop aléatoire.
Pour les auteurs qui feraient reposer leur modèle de développement sur un seul acteur, je dirais simplement: danger. Les pires choix sont toujours effectués lorsqu'on a l'impression que l'on n'a pas le choix.