Aucun auteur ni aucun illustrateur ne peut aujourd'hui ignorer l'essor fulgurant des intelligences artificielles génératives, que ce soit pour le texte ou pour l'image. En ce qui concerne le texte, je n'utilise l'IA que pour des résumés de roman, s'il y a lieu, ou pour des campagnes publicitaires. Mais en fait pour le moment, je n'y ai pas du tout recours. Pour ce qui est de l'image, Midjourney est utilisé par certains confrères et consœurs, autrices et auteurs autoédités, et peut-être par des éditeurs. Le logiciel est même utilisé par certains illustrateurs. Je n'y ai pas recours, pour plusieurs raisons. Je ne suis pas là pour jouer les donneurs de leçon, juste vous donner mon approche.
Comment je vois le marché du livre papier et de l'ebook dans notre contexte économique? C'est simple, comme une forme de cannibalisme industriel. On pourrait d'ailleurs l'étendre à tous les marchés économiques. Qu'elle le veuille ou non, chaque entreprise va bouffer les ventes d'une autre voire de plusieurs autres pour devenir leader du marché, quel que soit le domaine. Ou à tout le moins empiéter sur les ventes.
Les stratégies pour cela sont variables. On peut essayer de jouer sur la qualité, sur le professionnalisme, sur la productivité, sur l'opportunisme, sur la célébrité, sur l'image de marque, sur les prix et promos, sur l'originalité, sur le marketing, sur les émotions, positives ou négatives, sur la captation et la fidélisation, etc.
Pour acheter une voiture, ou une maison, le portefeuille des individus n'est pas illimité. Donc, il faut faire mieux que les autres.
Pour que l'on achète un livre ou ebook, il faut disposer de temps pour le lire. Donc, pour les auteurs, la lutte de temps de cerveau disponible va être une lutte de nature à cannibaliser la concurrence, à aspirer les ventes.
Oui, c'est déprimant. Il n'y a pas de place pour tout le monde sur le marché.
Ce n'est pas pour ça, bien sûr, qu'il faut considérer les autres auteurs comme des ennemis. Ce sont les victimes d'un système économique impitoyable.
Les IA viennent débouler dans ce contexte déjà extrêmement difficile. Donc, si vous vouliez vraiment me pousser dans mes retranchements et me demander ce que je pense de mes collègues autoédités qui utilisent Midjourney pour leur couverture, je répondrais: "un peu plus de cannibalisme ou un peu moins, on s'en fout. Les auteurs font ce qu'ils veulent. Les illustrateurs aussi. C'est le système qui n'est pas le bon. C'est le système qu'il faut combattre." C'est une réponse dictée par le rationalisme et la logique.
J'ai déjà évoqué le fait que je suis en faveur d'un revenu universel inconditionnel, pour de multiples raisons. L'une d'elles est de rémunérer tous les créateurs et artistes de manière enfin équitable. Parce qu'il ne sera jamais possible de rendre justice par les ventes à la qualité du travail des artistes dans leur ensemble, et notamment des auteurs autoédités. Nous sommes de plus en plus nombreux sur le marché, et le temps de cerveau disponible n'est pas extensible à l'infini, loin de là.
Maintenant, mon approche. En tant qu'auteur autoédité, j'ai conscience d'un certain égoïsme de ma démarche, tout à fait assumé. Je n'édite aucun autre auteur. En revanche, je considère que si je peux au passage donner un coup de main à quelques auteurs au travers de conseils gratuits sur ce blog, y compris en autoéditant un ebook à ce sujet et en le vendant au minimum du prix, j'aurais fait un acte qui ne va pas dans le sens d'un système qui oppresse économiquement.
Et pour les illustrations? Je suis sentimental à ce sujet. Je réagis de manière personnelle, en fonction de mon histoire individuelle. De mon père, qui était illustrateur. Et il est vrai que dans un contexte économique difficile et barbare, je n'ai pas envie de rendre ce contexte encore plus difficile et barbare.
Et donc, oui, je paie pour mes couvertures. Pour les Nouveaux Gardiens, 280 € en 2019. Pour Memoria, 359 € en 2021. Et pour mon prochain roman de Science-Fiction, L'Essence des Sens, 400 €. A mon échelle d'auteur artisanal, c'est beaucoup. Je le fais en ayant conscience que même si tous les auteurs autoédités faisaient de même, ça ne changerait pas énormément la donne pour les illustrateurs. Ça créerait juste un marché un tout petit peu moins défavorable pour eux. Mais ça resterait l'enfer.
La couverture de mon prochain roman est de Didi Wahyudi, déjà illustrateur sur Memoria, repéré sur le site 99 designs.com, et avec lequel je continue de travailler.