Le cas de l'Egypte et de sa relation avec la science et la religion me fascine. L'Egypte pré-dynastique existait déjà plus de 5500 ans avant Jésus Christ. Même si l'on compte uniquement l'Egypte dynastique des pharaons, on parle de 3000 ans d'une même civilisation, qui était déjà développée à la base, avec l'écriture et les hiéroglyphes, la navigation, la construction, les mathématiques, l'astronomie. Les Egyptiens n'ont pas inventé la roue, mais ils ont quand même intégré cette découverte, avec leurs fameux chars. Et tout ça 3000 ans avant JC!
Comment ne pas penser qu'il y a des savants égyptiens qui sont sortis du polythéisme, dans toute cette période de 3000 ans? Comment ne pas penser qu'il y a eu des Aristote, des Galilée, des Copernic, des Newton et des Pasteur égyptiens?
Mais que ces gens-là se sont autocensurés? Ou bien qu'ils ont été tués par le pouvoir en place? Ou qu'ils ont fini par être renversés et enterrés dans les sables du désert, comme le pharaon Akhenaton, qui avait avant l'heure instauré une religion se rapprochant du christianisme.
L'impression que ça me donne, c'est que le culte des morts était devenu si dominant avec ces immenses pyramides, que les Egyptiens finissaient toujours par y retourner. Que les travaux consentis avaient été si gigantesques, que tout ceux qui pouvaient menacer les édifices d'une telle foi étaient ressentis comme des barbares.
La science n'a pas pu se développer en Egypte parce que le polythéisme fournissait une explication du monde clés en main, qu'il n'y avait pas besoin d'aller plus loin, et que toute personne qui s'y essayait devenait une menace pour le système, et était éliminée. Un polythéisme nettement tourné vers la mort, comme en témoignent les pyramides et les tombeaux des pharaons. Mais est-ce que tous les Egyptiens avaient naturellement ce culte de la mort, ou bien est-ce qu'il leur était enseigné dès l'enfance?
Poser la question, c'est y répondre. J'irais jusqu'à dire que ce culte de la mort ne convenait pas forcément à tous les Egyptiens. Pas à ceux qui voyaient des contradictions entre les mythes et leurs observations et déductions au sujet du monde.
Oui, pour citer une certaine Agatha, il y a eu mort sur le Nil...
Tout cela évoque bien sûr l'opposition entre science et religion, et la fameuse affaire Galilée qui opposa ce dernier au tribunal de l'inquisition en 1633. La preuve que la religion catholique n'est sortie de ses errements que très très récemment, avec la réhabilitation par Jean-Paul II, en 1992 seulement, de Galilée.
Et si l'on retourne vers le passé. Les dieux et déesses de la Grèce antiques étaient en proie aux passions. Ils étaient tellement humains, en fait, qu'ils personnifient différents types de personnalités archétypales chez les femmes et les hommes.
Le dieu de l'Ancien Testament était un dieu vengeur, en proie lui aussi aux passions. Il en va de même du dieu du Coran.
Le dieu du Nouveau Testament, adopté en 363 au concile de Lodicée, s'éloigne de ces modèles. Ce qui n'empêche que l'influence de l'Ancien Testament a continué bien au-delà, comme on l'a vu avec l'affaire Galilée, et s'étend jusqu'au monde moderne. La preuve, l'expression "Œil pour œil, dent pour dent", n'est pas encore tout à fait passée de mode.
Mais disons que le Nouveau Testament étant une réforme de l'Ancien, portait en lui-même la possibilité d'autres réformes.
Il est plus facile, pour un représentant d'une religion, de se faire passer pour transmettant la parole divine si le dieu dont il est censé porter la parole est un dieu susceptible de passions et de sentiments humains.
Si le dieu d'une religion s'éloigne de ces modèles humains, alors, la logique des règles édictées pourra être analysée et justifiée par la raison et non la passion. Et il devient moins facile d'utiliser la parole d'un dieu pour faire bouger les foules d'une manière radicale, parce que cette parole se réfère à des règles ayant leur logique propre.
Cela étant, plus une religion a de règles de vie inflexibles, plus elle va structurer le quotidien des fidèles, plus il sera nécessaire que la religion soit liée au pouvoir pour régler la vie des fidèles, et empêcher tout déviationnisme. Moins le changement et le progrès seront possibles. Moins la parole sera libérée. Plus on interdira les Salman Rushdie. On pense bien sûr à l'islam et à son mode de vie très astreignant (pour les femmes encore plus que pour les hommes), malgré une base de connaissances très développée en Arabie concernant les mathématiques (invention du zéro par les Arabes) et l'astronomie.
En Occident, il y a eu des rapports de force avec d'autres traditions, le paganisme, mais aussi le féodalisme, ce dernier étant très lié au pouvoir. Il y a eu la collision avec l'anglicanisme et le protestantisme. Le rejet des idoles. Et du coup, la religion catholique s'est retrouvée parfois éloignée des cercles du pouvoir, et des princes ou un François Ier ont pu prendre des Léonard de Vinci sous leur aile.
C'est finalement la laïcité qui a permis à la religion de laisser respirer la science, laquelle a vu son influence s'étendre peu à peu.
L'incompatibilité fondamentale de la science avec la religion, c'est que la science, quant à elle, remet en question ses propres enseignements en cas de nouvelle découverte démontrée par l'observation et l'expérimentation, au point de bouleverser de temps à autre son champ de connaissances. La religion, plus rigide, maintenue en place par son dogme, aussi ancrée que l'est une pyramide, est de ce fait plus rassurante pour les traditionalistes et autres conservateurs.
Malgré la puissance de son conservatisme, la civilisation antique égyptienne s'est effondrée, et la vie, qui est mouvement, a continué.