Après avoir lu le roman Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques?, de Philip K. Dick, j'ai eu envie de revoir le film. Après avoir vu le film et avoir constaté les libertés prises avec l'œuvre originelle, j'ai eu envie de me mettre dans la peau de Ridley Scott, le réalisateur du film, ainsi que des deux scénaristes Hampton Fancher et David Peoples. Attention, article bourré de spoilers!
Ça ne va pas être un projet facile à adapter à cause de la dimension psychologique du roman. Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques? est un roman de SF avec une vision du futur très aboutie. Mais qu'est-ce qui nous fascine vraiment là-dedans?
Le pitch, à la base, c'est un chasseur de primes qui part à la chasse d'androïdes. Mais il y a aussi un autre point de vue que celui du chasseur de primes, Rick Deckard. Celui de John Isidore, la tête de poulet comme l'appelle Philip K. Dick. Le simple d'esprit, qui ne l'est d'ailleurs pas tant que ça. On se demande même s'il est vraiment simple d'esprit, ou si c'est juste un complexe qu'il a. Un personnage qui met l'accent sur la psychologie. Toujours très compliqué à adapter, ça.
Le couple que forme Deckard avec sa femme Iran met aussi l'accent sur la psychologie. Et le fait que le couple possède un mouton électrique, la volonté du héros de s'acheter un véritable animal vivant, là on est dans la vision SF, l'évolution sociétale. Avec les boîtes d'empathie, aussi. Là, ça devient carrément mystique voire religieux, cette possibilité de fusionner ses pensées avec la population entière. Et ce personnage mystique, ce prophète ou faux prophète qui balance des pierres sur les gens...
Il y a le côté post apocalyptique du roman aussi. La poussière radioactive qui s'infiltre partout et qui rend les gens débiles. Ou qui leur abaisse le Q.I. A des gens comme Isidore.
Le public, tout ça, ça risque de lui passer au-dessus de la tête. Bon, le côté post apocalyptique, on peut le rendre visuellement. Les animaux, ont peut y faire allusion de manière discrète. La religion et le mysticisme, franchement, faut laisser tomber. Mais c'est quoi, à la base, ce bouquin? Qu'est-ce qui nous fascine là-dedans?
C'est un Thriller. Un Thriller situé dans le futur, mais avant tout un Thriller. Il y a le chasseur de primes, et les androïdes qu'il pourchasse. Ce sont eux qui nous fascinent. Leurs capacités à tuer ou à mutiler sans émotion. Ce qu'ils font à la précieuse araignée d'Isidore, par exemple. Ce sont de purs psychopathes. C'est très fascinant, ça. Glauque et morbide, aussi, bien sûr.
Bien, là on a quelque chose. Et dans le bouquin, on a l'impression qu'ils vont être des adversaires redoutables. C'est Rachael, l'assistant d'Eldon Tyrell, qui est en réalité chargée de protéger ces androïdes de type Nexus 6 que pourchasse Rick, qui le fait croire à Rick. Sauf qu'à la fin du livre, en fait, il les abat facilement. Sans doute pour montrer la différence entre l'humain, qui bénéficie de milliers d'années d'instinct naturel de survie, et les androïdes, qui n'ont pas tout ça. C'est bien vu de la part de Dick, cette surprise. Mais pour nous, c'est un problème, ça.
Oui, il nous faut un méchant fort. Pas de film réussi sans méchant fort. Il faut aussi un méchant qui poursuive un objectif.
C'est un autre problème du roman, ça. Dans le roman, le seul but des andys, les androïdes, c'est la survie. Ça pourrait être quoi, l'objectif? On a des androïdes qui reviennent sur Terre après s'être révoltés contre leurs créateurs. Il y a un côté prométhéen, là-dedans. Ils ont piqué le feu aux dieux, sauf que leurs dieux, ce sont les humains.
Ils devraient avoir un problème interne. Un problème qu'ils doivent résoudre. Ça pourrait être la longévité. Ils ne vivent que quatre ans. Ils veulent donc être modifiés pour vivre plus.
Pour cela, ils doivent retrouver leur créateur, et le forcer à les modifier. Là, on a un côté créature de Frankenstein. Et comme c'est un thriller, il doit forcément y avoir au moins un meurtre spectaculaire. Si l'androïde le plus costaud de la bande tue son créateur, on pousse le côté Prométhéen à son paroxysme. Cela permet de faire bondir l'intensité du scénario, et les enjeux.
Il ne doit pas le tuer n'importe comment. Ça devra être cruel. Et il devra combattre le chasseur de prime, lui résister beaucoup plus. Et lui infliger des choses cruelles, aussi. Peut-être lui briser les doigts un par un.
Faut réfléchir au casting, aussi. Le méchant, il faut pas se louper là-dessus. Il nous faudrait quelqu'un de très froid. On a des androïdes, des sortes d'humain très développés si l'on excepte leur principale faiblesse, la longévité. On pourrait en faire une créature aryenne. Blond aux yeux bleus. Ce serait une autre bonne manière de taper dans l'inconscient collectif. Faire penser au rêve d'Hitler de race supérieure.
On retient ça. Et pour le chasseur de primes, il nous faut un acteur très humain, pour qu'il y ait un vrai contraste. Humain et charismatique. Et quelqu'un capable d'encaisser des coups et de le montrer à l'écran avec ses expressions. Attends. Il y a l'Aventurier de l'Arche Perdue qui est sorti l'an dernier. Le héros s'en prend plein la tronche, et il le montre bien. Une véritable machine à encaisser. C'est lui qu'il nous faut. Harrison Ford.
Donc, on se reconcentre sur l'aspect thriller. On évacue la femme du héros, on oublie tout ce qui est religieux ou les histoires de mouton électriques, on fait juste quelques allusions aux animaux, et on remplace le personnage du simplet, Isidore, par quelqu'un d'autre. Un personnage qui permettra aux androïdes d'atteindre leurs objectifs en se rapprochant de leur créateur. On pourrait l'appeler J.F. Sebastian et faire de lui un ingénieur génétique. Pour le rapprocher des andros, il serait victime d'une maladie provoquant un vieillissement prématuré.
Et pour la fin? Dans le roman, Rick fait l'amour avec une androïde, Rachael, sans le dire à sa femme.
Ils pourraient tomber amoureux dans le film. Ça renforcerait le côté humain des androïdes, comme dans le livre. Rick pourrait partir avec elle à la fin du film, puisqu'il est célibataire dans notre version. Elle deviendrait son allié, lui sauverait même la vie à un moment. A la fin, plutôt que de la dénoncer, il s'en irait avec elle.
Voilà pour mon interprétation d'une discussion de type brainstorming à trois qui aurait pu avoir lieu. En écrivant un roman où les androïdes, loin de respecter les lois de la robotique d'Asimov, sont des psychopathes, Philip K. Dick a non seulement cassé les codes, mais il a fait de son roman, avant tout un thriller.
Le roman a un aspect visionnaire beaucoup plus développé que le film. L'aspect sociétal est très réussi, on a l'impression que Dick a anticipé le véganisme. Il montre cette tendance transhumaniste qui existe a l'heure actuelle, celle qui nous rapproche de la machine, mais nous coupe irrémédiablement de l'aspect animal.
Et l'homme, dans le roman, est désespérément à la recherche du contact animal, car il ne reste que quelques animaux vivants sur Terre, suite à la guerre et ses conséquences.
Evidemment, je n'ai pu m'empêcher de penser à l'Australie et ses grands incendies en lisant le roman.
Pour l'aspect pollution, je pense que Dick avait lancé une excellente mise en garde, mais que fort heureusement, la réalité est en train de prendre un virage bien différent. Que ce soit dans le film ou dans le roman, on est vraiment dans une dystopie.
Donc, le roman l'emporte sur le film pour l'aspect futuriste, et pour ses personnages beaucoup plus creusés. Mais le film l'emporte pour son aspect thriller, et en particulier pour la montée en intensité du scénario et son dénouement.
Le film reste un chef-d'œuvre, selon moi. Le roman aussi, bien sûr.
Je confesse n'avoir lu le roman que bien longtemps après avoir vu le film. J'étais curieux en lisant de savoir si je retrouverais les paroles de l'androïde Roy Batty à la fin du film, quand il parle des batailles spatiales qu'il a vécues. Cela m'avait vraiment marqué.
Eh bien non, ce n'est pas dans le roman. C'est vraiment quelque chose à mettre au crédit du film. Avec le recul, je dirais que les deux œuvres se complètent magnifiquement. C'est amusant, en regardant le film, de constater à quel point il remonte à l'ère pré-internet.